Vous les avez certainement déjà vus, sur porcelaine, toile ou même tapisserie, ces petits couples galants qui se font la cour en pleine campagne. Mais qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils assis à même le sol dans des tenues si élégante ? Lassé de la formalité de l’art Baroque de la période précédente, on entre dans une époque tournée vers la légèreté. La cour quitte Versailles pour Paris, lieu propice à plus de liberté et de joie de vivre favorisant les amours. Revenons sur ce XVIIIème siècle français qui voit la vie en rose.
Les fêtes galantes en art majeur
Au XVIIème siècle, la peinture de genre, grande tradition vénitienne et flamande, est considérée comme mineur. Ce ne sont que des scènes anecdotiques du quotidien qui ne plaisent pas à l’Académie. Les scènes d’amour n’ont pas leur place parmi l’élite intellectuelle de l’aristocratie. Il faut attendre 1717 avec le morceau de réception le Pèlerinage à l’île de Cythère d’Antoine Watteau (1684-1721) pour que les choses changent. L’Académie, face à son talent, refuse de le reléguer à un genre mineur et décide de créer le genre de la fête galante.
Il s’agit de représenter un moment d’oisiveté sociale de l’aristocratie dans un décor champêtre. A cela s’ajoute la notion de séduction fortement présente. Antoine Watteau ne représente plus seulement la vie quotidienne mais une légèreté qui plaît à la fois aux particuliers, dont viennent la majorité des financements, et à l’Académie des Beaux-Arts nommé par le gouvernement.
Biscuit, scène de chasse avec couple galant, XVIIIe siècle
Mais qu’est ce qui démarque la fête galante d’une autre scène de la vie aristocratique ? Le thème de la passion amoureuse dans des décors bucoliques est un prétexte pour se montrer audacieux et original dans la composition de l’œuvre. Les artistes jouent sur la modernité des vêtements tout en les intégrant dans l’intemporalité du lieu. Les œuvres de Watteau illustrent les modes vestimentaires qui lui sont contemporaines. Les historiens de l’art appelleront les plis dans le dos des robes à la française de la période « plis Watteau » à la suite de ses précises descriptions. Ces vêtements montrent le statut élevé des protagonistes. Cela permet aux aristocrates de se reconnaitre dans ces scènes oisives et délicates.
On remarque aussi une forte place donnée à la théâtralité et au double langage. La galanterie se pare de codes sophistiqués propres à l’aristocratie. Ils permettent de déterminer qui fait partie de la bonne société et qui en est exclu alors que la bourgeoisie commence à avoir les moyens de se fondre parmi la noblesse. Être un galant homme, c’est savoir plaire en société par son allure, ses manières et sa finesse d’esprit. Tout est prétexte à la galanterie, du mouvement d’un éventail à la position d’une mouche sur le visage d’une jeune femme. Les codes sont inscrits sur les objets du quotidien, depuis les éventails jusqu’aux buscs (lame de bois inséré à l’avant des corsages pour en maintenir la rigidité) des corps à baleines. Cela mène à une éducation très diversifiée chez la jeunesse aristocratique mais qui reste superficielle. Celle-ci inspirera fortement le dandysme du XIXème siècle.
Pendule ancienne en bronze doré et porcelaine à scène galante
Toutes ces fêtes ne se font pas à l’intérieur. Il serait inconvenant de se montrer trop entreprenant dans un salon ou un bal. C’est au cours des promenades en extérieur, loin des obligations de l’étiquette que l’amour peut se montrer le plus entreprenant.
La Pastorale ou s’aimer en plein air
Si l’on tente de se rapprocher de la nature, c’est pour montrer que l’on est érudit et que l’on a lu les écrits de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778). Selon lui, l’Homme est bon de nature et c’est la société qui le compromet. Ainsi, sont considérés comme respectables les personnes de la société les plus proches de la nature. Cela mène à une vision sentimentaliste des milieux paysans qui sont considérés plus purs. Illustrer des bergers est l’occasion d’exprimer le poids du destin des sentiments sur des gens considérés comme « simples » et « innocents ». En effet, on reprocherait à l’aristocratie, trop loin de la nature, vanité et luxure plutôt que fatalité.
Cette idée n’est pas neuve, la pastorale est popularisée en littérature dès le IIIème siècle avant J.-C. par Virgile dans Les bucoliques mais prend réellement de l’ampleur lors de la Renaissance italienne. En France, c’est Honoré D’Urfé (1607-1628) qui met la pastorale en lumière avec l’Astrée en 1607. Le roman décrit les aventures de jeunes gens dont les ancêtres nobles ont choisi de s’éloigner des guerres pour vivre dans des hameaux sur les rives du Lignon.
Détail d'une scène galante sur une jardinière ancienne en porcelaine et bronze doré
Le thème de la Pastorale en Arts plastiques à proprement parlé arrive avec le décor de l’Hôtel de Soubise à Paris par François Boucher en 1737-1738. Il conçoit alors des scènes de jeunesse insouciante et enjouée dans une image de la vie paysanne idéalisée. Les bergers et bergères, vêtus comme des seigneurs et dont les pieds nus ne sont jamais souillés, gardent des troupeaux demandant peu de soins. Ils semblent totalement insensibles aux dures conditions de la vie rurale.
En s’entourant d’œuvres représentant cette société idéale, éduquée mais proche de la nature, on s’en approprie les vertus. Transposer une scène galante dans un paysage bucolique est une façon de garantir le bon fondement des sentiments exprimés.
Cette glorification de la vie à la campagne sera à son apogée avec le hameau de la Reine de Marie-Antoinette. Celle-ci demande à Richard Mique de lui réaliser un village rural avec des chaumières et une exploitation agricole en périphérie du Trianon. On y trouve grange, laiterie, étable, porcherie et poulailler. La légende dit qu’elle « jouait à la bergère », ce n’est pas exactement la réalité puisqu’elle utilisait ce lieu majoritairement comme lieu de promenade. Ces constructions montrent tout de même l’attrait important qu’avait le monde rural et ses activités sur la société aristocratique.
L’image d’un style de vie Rococo
Après la mort de Louis XIV, la France aspire à plus de légèreté. Régie par une étiquette très stricte et impliquée dans de nombreuses guerres, la noblesse prend dès la Régence (1715-1723) plus de liberté et les mœurs s’assouplissent. C’est par le patronage de Mme de Pompadour, maîtresse de Louis XV, que se définira l’essence de l’art rococo. La palette de couleur s’éclaircit et se décline dans des camaïeux de roses, bleus et blonds pour refléter la joie de vivre de la cour. Le rose en particulier, couleur de la fleur de la déesse Vénus, prend de l’importance pour imiter la marquise qui le porte à Versailles. Le rococo devient un style de vie fondé sur le plaisir raffiné des sens et la satisfaction esthétique.
Dans cet optique, il se répand sur tous les supports. La manufacture de Sèvres (manufacture royale dès 1759) utilise les gravures et sujets de François Boucher, protégé de Mme de Pompadour, pour ses réalisations en porcelaine. La blancheur de carnation des jeunes femmes sublimant la blancheur de la matière. Entre 1778 et 1797, on trouve une grande quantité de thèmes pastoraux dans les biscuits, petites statuettes sans glaçure, qui servent de décor de table. C’est l’occasion de stimuler l’imagination des spectateurs et de mener à des conversations entre les convives. On remarque à la fois la richesse du décor de son hôte et sa capacité à voir au-delà des scènes innocentes.
Coupe en porcelaine bleue, dans le style de Sèvres, XIXe
Car il ne faut pas s’y méprendre, conter fleurette à la campagne n’est pas seulement réservé au grand amour. La seconde moitié du XVIIIème siècle voit l’arrivée de la notion de libertinage. Le terme existait déjà au XVIIème siècle mais représentait surtout une liberté de pensée et une certaine inconstance du sentiment amoureux. Dès le règne de Louis XV, roi bon vivant adepte des plaisirs, il devient synonyme de la recherche des plaisirs charnels. Cela mène à un double langage des œuvres entre scènes d’apparence chastes et connotations à caractères sexuels crues.
Les bergers jouant de la flute peuvent aussi bien montrer la facilité de tomber amoureux dans une ambiance musicale entourée de nature harmonieuse, que représenter un acte sexuel pour la société du XVIIIème. Le jeu des regards laisse parfois la place à des gestes explicites ou des tenues débraillées, c’est le cas sur le biscuit de scène de chasse avec un couple galant de notre collection.
La fin de la fête, arrivée du Néoclassicisme
Cette dépravation de l’aristocratie ne plaît pas à tout le monde et dès 1750, on commence à voir un mouvement en opposition avec l’art rocaille : le Néoclassicisme. Les scènes pastorales continuent à exister mais celles-ci prennent un tour plus vertueux. Fini les amoureux enlacés, les représentations se concentrent sur les valeurs nobles du travail de la terre. On ne garde des fêtes rocailles que le décor d’une Arcadie rurale idéalisée, image de la Rome antique. Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), virtuose de l’amour bucolique, fera les frais de ce changement de goût. Sa série de peintures pour le château de Louveciennes de Madame du Barry, autre maitresse de Louis XV, représentant les étapes de l’engagement amoureux lui sera rendue. À la place, la commanditaire accrochera des toiles de Joseph Marie Vien (1716-1809) bien plus néoclassique.
Pendule les bergers d'Arcadie, époque XIXe, détail
Dans les années 1780, on observe un rejet total du style rocaille jugé trop frivole et décadent. La peinture d’Histoire moralisante reprend le dessus sur les scènes de genre. La palette de couleur utilisée s’assombrit et la couleur rose est abandonnée au profit du rouge jugé plus sérieux. On cherche à revenir aux sources de l’art après les découvertes archéologiques de Pompéi et Herculanum.