Jacob Petit et la porcelaine de Paris
Publié par Galerie Atena on 22.09.12
Dans les années 1830, alors que décorateurs et porcelainiers parisiens fournissaient des modèles qui perpétuent le vocabulaire néo-classique, Jacob Petit (1796-1868) affrontait la tradition en proposant des pièces d’une grande variété de styles et de décors. Cette production d’une étonnante extravagance, apparue au moment où l’art de la porcelaine tombait dans l’industrie, connu un véritable succès et relança le commerce de la porcelaine d’ornement.
Pendule en porcelaine dans le goût de Jacob Petit
Né à Paris en 1796, Jacob Mardouché dit Petit d’après le patronyme de son épouse, Anne Adelaïde Petit, commença par étudier la peinture dans l’atelier d’Antoine-Jean Gros. En 1820, il était qualifié de fabricant de porcelaine et ce fut probablement à partir de cette date qu’il fit de nombreux voyages en Italie, en Suisse et en Allemagne, puis s’installa quelques années en Angleterre où il étudia diverses industries et peignit des décors de théâtre.
De retour en France, vers 1830-1831, Jacob Petit publia un recueil de décoration intérieure de cent planches avec des modèles de vases, meubles, pièces d’orfèvrerie et de menuiserie où les styles antérieurs sont visités, avec une préférence pour l’Antiquité et le style gothique. Après un court séjour à Sèvres, il installa un petit atelier à Belleville. Son ascension fut rapide et spectaculaire et en 1833 il acquit la manufacture de porcelaine de Baruch Weil à Fontainebleau dont la production était appréciée par Louis XVIII, Charles X et la duchesse de Berry. Il possédait aussi un atelier de décoration à Paris 26 rue de Bondy.
En 1846, il s’associa avec Nicolas Moriot, peintre à la manufacture royale de Sèvres, et installa dans la même ville une petite manufacture pour la fabrication de la porcelaine tendre. Cinq ans plus tard, Jacob Petit déménagea sa fabrique de Fontainebleau à Avon et la vendit en 1862 à l’un de ses collaborateurs, Etienne Jacquemin.
La manufacture de Jacob Petit fut l’une des plus célèbres des années 1830-1860 et sa production fut abondante et variée. Si à ses début, Jacob Petit fabriqua de pièces de vaisselle, à partir de 1838 il se dédia exclusivement aux pièces d’ornement : flacons, pendules, brûle-parfum, veilleuses, tisanières, presse-papiers, vases, flambeaux et petites statuettes.
Dès 1834, Jacob Petit présenta aux Expositions des produits de l’industrie, puis aux Expositions universelles, des pièces remarquables dont les innovations techniques lui apportaient de nombreuses récompenses officielles. Toutefois, l’accumulation des éléments de styles antérieurs provoqua l’enthousiasme des amateurs d’objets raffinés. Il s’agit d’une œuvre fortement éclectique, où on retrouve seuls ou associés le gothique « troubadour », la Renaissance, le néoclassicisme, le style rocaille, l’Extrême Orient avec le décor chinois ou encore le Proche-Orient avec les guerres arabes et les odalisques.
Encrier en porcelaine de Jacob Petit
En outre, les influences étrangères y sont aussi sensibles, suite aux séjours de Jacob Petit à l’étranger, en Europe centrale notamment, où il a pu étudier un style rocaille d’une exubérance inégalée en France, qu’il imposa par la suite à ses contemporains. En effet, en pleine époque romantique, cet artiste à imagination débridée porte au paroxysme ses formes contournées, asymétriques et « bizarres » qui le démarquent facilement des autres fabricants de porcelaine à Paris. Les rocailles décorent abondamment les angles, les arrêts et même les surfaces planes. Les formes mouvementées, les reliefs plus ou moins apparents, allant parfois jusqu’aux hauts reliefs, auxquels s’ajoutent des branchages feuillus, oiseaux, flammes, fleurs et fruits forment un décor luxuriant qui s’oppose à la sobriété inspirée de l’antique. Colorés ou dorés, tous ces formes confèrent aux pièces l’aspect de richesse si apprécié à l’époque. Les pendules sont particulièrement représentatives de ce goût, rappelant par l’abondance de motifs rocaille et de volutes, le rococo tourmenté d'outre-Rhin.
Vase en porcelaine polychrome de Jacob Petit
Un des succès de Jacob Petit furent les vases « boule de neige », gloire de Meissen dans les années 1730-1750. Entièrement recouvertes de minuscules fleurs blanches en relief, exécutées avec un soin minutieux, ce décor devient chez Jacob Petit l’objet de véritables effusions de fantaisie.
Profondément influencé par la porcelaine saxonne, Jacob Petit réalisa également de nombreuses statuettes et bibelots aux couleurs chatoyantes représentant des personnages de la cour de Louis XV ou de Saxe, musiciens, bergers et bergères, orientaux ou encore des animaux.
Ces petites figurines ont une fonction décorative ou utilitaire dissimulant ingénieusement flacons, veilleuses, encriers, presse-papiers, porte-bouquets ou porte-allumettes.
Pour les décors peints de ses porcelaines, Jacob Petit a employé des couleurs vives et lumineuses, rappelant les palettes du XVIIIème siècle. Les pièces décorées dans ses ateliers ont une grande fraîcheur ; les fonds noir, vert acide, amarante ou turquoise mettent en valeur la polychromie des fleurs en relief ou des scènes animées de personnages provenant de divers pays et époques. A la vivacité des couleurs se rajoute l’exubérance des ors.
Lévrier porcelaine Jacob Petit Les modèles à succès inventés par Jacob Petit furent fréquemment imités. En effet, il vendait beaucoup de « blancs » aux décorateurs et marchands en France ainsi qu’à l’étranger.
Après deux siècles, l’œuvre de ce porcelainier à personnalité féconde apparaît comme une production fortement imprégnée par le Romantisme avec le triomphe de l’imagination, du sentiment, de la fantaisie et de « l’exotique à travers le temps » selon la phrase de Théophile Gautier cité dans le Journal des Goncourt.
En s’inspirant de tout ce qu’il a admiré dans ses voyages et mélangeant habilement les styles antérieurs, il a néanmoins créé une œuvre très personnelle, immédiatement identifiable. En s’opposant à la simplicité antique, Jacob Petit fait de son exubérance l’image d’un faste précieux, facilement accessible, qui vient à la rencontre du goût d’une nouvelle clientèle bourgeoise soucieuse de décorer ses intérieurs des pièces « à effet ».
Bibliographie :
Plinval de Guillebon, Régine de, « Jacob Petit, le plus romantique des porcelainiers parisiens », L'Estampille/L’Objet d’art, no 311, mars 1997, pp. 48-57.
Idem, « Les porcelaines de Jacob Petit », Plaisirs de France, no 365, mars 1969, pp. 3-7.
Idem, Faiences et porcelaines de Paris, XVIIIe et XIXe siècles, Dijon, Editions Faton, 1995, pp. 286, 376.
Plinval-Salagues, Régine de, « L’exotisme de Jacob Petit », Art de France, no 3, 1963, pp. 195-200.
Boisgibault, Françoise, « Meissen et la petite statuaire française », L'Estampille/L’Objet d’art, no 369, mai 2002, pp. 72-82.