Qui n’a pas rêvé de boire un verre dans un sublime décor Art Deco comme si l’on vivait dans Gatsby le Magnifique ? Souvent considéré comme l’esthétique emblématique des Années Folles, l’Art Déco est un courant artistique très riche autant dans sa diversité des formes que dans la qualité de ses créations. Il représente la fugue d’une jeunesse décomplexée qui veut se reconstruire après une guerre dévastatrice. Mais comment est né ce style si caractéristique d’une époque ?
Comment est né l'Art Déco ?
C’est « toute la tension nerveuse accumulée et non dépensée durant la guerre » dit Scott Fitzgerald dans Jazz Age en 1931.
Pourtant, les prémices de ce style font leurs apparitions dès les années 1910. Alors que l’Art Nouveau fait encore rage, ses courbes végétales ne plaisent pas toujours. Elles sont indécentes et ridicules pour ses détracteurs qui l’appellent le « style nouille ». Ceux-ci cherchent une plus grande simplicité des lignes et des formes plus sobres. C’est une sorte de retour à l’ordre qu’on sent déjà dans les créations allemandes et viennoises. Elle vient aussi d’un bouleversement esthétique avec les Ballets Russes de Serge Diaghilev inspiré des Milles et une nuit composée de danses, musiques et peintures en 1909. On observe la résurgence de l’Orient comme source principale d’inspiration autant dans les créations artistiques que dans la vie mondaine parisienne. Le célèbre Paul Poiret organise une grande fête costumée chez lui nommée la Mille et Deuxième nuit où sont invités de nombreux artistes. C’est une nouvelle époque qui se profile. Malheureusement, la Première Guerre mondiale se déclare en 1914, interrompant toutes ces nouvelles réflexions dans leur élan.
C’est de retour du champ de bataille que l’Art Déco fleurit. C’est les Années Folles, la jeunesse se lance à corps perdu dans des jeux de plaisirs permanents pour oublier les horreurs des tranchées. On cherche la fantaisie et l’amusement. On crée alors le Nouveau Style, style moderne ou Zig Zag moderne comme on l’appelait. C’est à Paris qu’il prend de l’importance. Dans la capitale des délices, se tient en 1925 l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industries Modernes. Cette grande foire commerciale présente 21 pays et est visitée par plus de 16 millions de personnes. En huit mois, elle va révolutionner l’architecture et les arts décoratifs du monde entier. Ce style se retrouve dans les hôtels, bars, paquebots et cinémas, des lieux luxueux et confortables fréquentés par la jeunesse des années 1920. La diffusion rapide de cette esthétique par le développement des moyens de communication est aussi rapportée par une population américaine qui vient profiter du franc dévalué français. On en retrouve des dérivés du Brésil au Japon et surtout aux États-Unis qui deviendra le berceau du style Stream line.
Il faut se reconstruire. On bâtit de nouvelles architectures cubiques avec des décors nouveaux, géométrisés et tournés vers la modernité. Des bâtiments, les motifs et réflexions se répandent aux arts décoratifs. On veut représenter la modernité en mouvement et l’évasion avec des choix nouveaux, parfois provocants. On s’accorde sur la simplification des lignes, mais cela ne veut pas dire un appauvrissement des créations. Les inspirations viennent de toutes les régions du monde : le Japon, la Chine, l’Extrême-Orient ou encore l’Afrique. On explore de nouveaux matériaux exotiques ou issus des progrès technologiques. Les Années Folles apportent leur lot d’innovations qui vont bouleverser le paysage décoratif.
Décors et ornements
Dans les années 1920-1930, une nouvelle notion apparaît, le concept d’artistes décorateurs qui proposent des meubles uniques adaptés aux goûts de la jeunesse. On retrouve des grands noms comme Ruhlmann, Jules Leleu, Paul Iribe, ou encore Maurice Dufrêne et Charles Dudouyt, que nous comptons dans notre collection. Libres de manifeste, ils peuvent se lancer librement vers de nouvelles formes qui font la renommée de la période des Années Folles tout en restant fidèles aux formes du passé. On cherche à moderniser la tradition. L’Art déco est une sorte de retour à l’ordre qui s’accentue avec la crise de 1929 et la dépression économique mondiale des années 1930.
Les sujets sont très éclectiques et divers, et nous ne pouvons en couvrir qu’une partie superficielle mais essentielle.
La plus évidente est sans doute le rejet de la ligne sinueuse Art Nouveau. On se tourne vers une imagerie plus douce et plus lyrique. Une approche de simplification qui vient d’abord du néoclassicisme sobre avant de se tourner vers l’art des Avant-gardes : cubisme, orphisme, expressionisme allemand, même si on ne les distingue pas forcément les uns des autres, qui offrent un langage pictural nouveau. C’est une évolution vers la géométrie qui est considérée comme l’essence du monde moderne mécanisé. Les formes sont pures, des cercles, carrés et lignes droites, le pan coupé ou des motifs sont fragmentés. La nature même perd son côté sauvage avec des formes synthétisées ramenées à leur essence. La rose devient un motif aplati et géométrisé à l’extrême. L’Art Déco cherche à dompter la nature en la pliant à l’esthétique de l’époque. C’est la preuve de la dominance de l’Homme moderne. Il soumet la nature grâce aux progrès intellectuels et technologiques.
Sculpture en bronze "Deux mouettes sur une vague" d'Enrique Molins
On cherche aussi à représenter la vitesse et le mouvement tout à fait moderne. L’automobile fait son apparition dans les rues de paris, les paquebots permettent de traverser les océans de plus en plus rapidement, et on rêve de l’aviation. On applique ces principes dans les décors. La panthère devient une évocation élégante de la fluidité et l’élan fougueux de la période. Chez nous, vous pourrez retrouver une épreuve en bronze de « Deux mouettes sur une vague » d’Enrique Molins qui montre bien cette volonté d’utiliser le règne animal pour évoquer la vitesse et les projets technologiques. La descente en piqué rapide des oiseaux vers l’océan est une allusion aux spectacles d’avions de voltige qui fascinent les populations.
La femme prend aussi une place de plus en plus importante. C’est l’émancipation féminine représenté par la garçonne. Sa silhouette mince et élancée vient de créateurs de mode tel que Gabrielle Chanel et Paul Poiret. En Art, la femme se retrouve dans ses tenues contemporaines, longues et élégante. Elle est visible dans les toiles de Tamara de Lempicka ou dans des sculptures comme figure dansante accompagnée de voiles qu’elle fait tourner autour d’elle. Elle prend aussi la place de la déesse à l’Antique avec les mêmes canons de beauté stylisés et étirés presque maniéristes. La figure de la Samaritaine est particulièrement mise en avant, nombreux restaurant arborent alors ce nom.
Enfin, on a une certaine fascination pour les civilisations anciennes nourrie par les nombreuses découvertes archéologiques en Mésopotamie, Mésoamérique et surtout en Égypte. La découverte de la Tombe de Toutankhamon par Howard Carter en 1922 déclenche une avalanche de motifs de style égyptisant dans les productions Art Déco. Cependant, on utilise surtout des thèmes génériques tels que les lotus, scarabées et hiéroglyphes.
Les matériaux du monde moderne
L’exposition coloniale de Paris en 1931 fait redécouvrir les arts africains à la population de la métropole. On en retient les motifs abstraits et des gammes de couleurs sombres, noires ou brunes. Mais, avant tout, un certain goût pour les matériaux, les bois exotiques comme l’ébène de Macassar ou le palissandre qui viennent de loin. On les considère pour leur qualité esthétique propre, le matériau devient ornement en lui-même. Cela justifie l’utilisation de nombreux placages et incrustations, d’ivoires, de nacre, de miroirs ou de galuchat, cuir de poisson. Ce sont des matériaux de luxe et sont parfois très coûteux. C’est une débauche de luxe qui ne veut faire aucune concession.
On donne une plus grande portée à l’éclairage pour magnifier les espaces et signifier le progrès. L’électricité se retrouve partout dans les grands salons et restaurants mais aussi dans le confort de sa propre chambre avec le développement de nombreuses lampes de table juxtaposant chrome et bois. On signifie le progrès technique avec de nouvelles techniques. On a un engouement particulier pour le travail du verre au début des années 1920. Celui-ci reflète le goût moderne, optimiste et tourné vers l’avenir. Dans les lustres, le verre permet de capturer le mouvement d’une fontaine gelée dans un mouvement comme écho du dynamisme du monde moderne.
Vers les années 1930, ce sont les États-Unis qui prennent le relai et le style évolue vers plus de simplicité, sans aucun ornement. Cela permet de l’adapter à la fabrication en série qui se développe. L’Art Déco devient bon marché pour répondre aux besoins de la Grande dépression. Cela permet la distribution à grande échelle qui fait entrer l’esthétique dans tous les foyers, même modestes. Pour satisfaire le désir des consommateurs, on y ajoute des matériaux encore inconnus du public comme le plastique ou l’aluminium. L’Art Déco caractérise l’Amérique moderne dans sa consécration de la consommation et de l’individualisme effréné. Le point culminant de l’esthétique est atteint lors de l’Exposition Universelle de New York en 1939.
Conclusion
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Art Déco décline. Il est largement critiqué par un mouvement parallèle, le modernisme. Même s’il prend source avec la même exposition 1925, il évolue différemment. Menés par Le Corbusier, les créateurs modernistes trouvent que l’étalage de luxe n’est plus de bon goût. L’après-guerre est une période d’austérité marquée par le rationalisme et le fonctionnalisme. L’ornement n’est pas nécessaire et « doit être considéré comme suspect » dit le critique moderniste Herbert Read. Cet historien de l’Art dit même qu’il faut rayer l’art Déco de l’Histoire de l’Art.
Heureusement, les antiquaires des années 1960 n’étaient pas d’accord. Boudée par les institutions culturelles, ce sont les professionnels du commerce des objets de l’art qui ont sauvegardés les meubles Art déco considérés comme démodés et sans intérêt historique. Un travail payant puisqu’en 1966 à lieu la première rétrospective à l’Union Centrale des Art décoratifs, aujourd’hui Musée des arts décoratifs, sous le nom de « Style 1925 ». C’est le début d’une grande reconnaissance. Le terme Art Déco rentre dans le vocabulaire courant dans les années 1970. Le goût pour cet univers s’accélère dans les années 1980 jusqu’à atteindre le grand public avec la sortie du film Gatsby le Magnifique dans lequel joue Leonardo DiCaprio en 2013.
L’Art Déco a donc de beaux jours devant lui que ce soit dans les enseignes de décorations qui produisent des copies, mais surtout pour les originaux qui gardent en eux la trace l’effervescence des Années Folles.
Bibliographie
- Histoires de l'Art Déco, José Alvarez, 2010
- le style art Déco, Ghislaine Wood, 2003
- Art déco, 1910-1939, Tim Benton, 2003